Le 26 avril, deux des agences de notation les plus influentes, Moody's et Fitch Ratings, feront connaître leur nouvelle évaluation de la solvabilité de la puissance publique hexagonale. Un mois plus tard, c'est le verdict de leur consœur, S&P Global Ratings, qui sera publié. Cela se déroulera dans un contexte tendu alors que le gouvernement a décidé d'annulations de crédits records (10 milliards d'euros) pour cette année en raison d'un déficit public plus dégradé qu'anticipé en 2023. La trajectoire de la dette publique sera un déterminant majeur : « Nous pourrions abaisser notre note sur la France au cours des douze prochains mois si nous estimions que les déficits budgétaires ne diminuaient pas suffisamment pour entraîner une réduction du ratio dette publique/PI », écrivaient les analystes de S&P en décembre dernier.
Pourquoi se désendetter est de plus en plus ardu
S'élevant à 110,6 % du Produit intérieur brut (PIB), le ratio d'endettement public de la France a décru de 4,3 points depuis fin 2020, une diminution qui pourrait avoir mangé son pain blanc. En cause ? Le niveau du solde public stabilisant la dette. Plus la croissance nominale est forte, plus le déficit public stabilisant est élevé, autrement dit, même une politique budgétaire extrêmement accommodante peut être synonyme de désendettement (la variation du ratio est en général le reflet de l'écart entre le solde effectif et le solde stabilisant). Ainsi, la période post-pandémique marquée par des taux de croissance en valeur importants, d'abord grâce à l'effet de rattrapage puis à la forte inflation, a permis le reflux de la dette malgré les déficits massifs votés pour absorber la crise énergétique, car le déficit stabilisant était considérable : il atteignait 6 % en 2022 et 6,7 % en 2023. La configuration a drastiquement changé cette année. Pour que baisse une dette qui pèse 110,6 % du PIB, avec une croissance nominale d'environ 3,2 % anticipée par le consensus, il faudrait que le déficit public soit inférieur à 3,4 %. Compte tenu de son étiage prévu (4,4 %) il est donc très probable que le ratio d'endettement progresse cette année, contrairement à ce qui est inscrit dans la Loi de programmation des finances publiques (LPFP).
Pour que baisse une dette qui pèse 110,6 % du PIB, il faudrait que le déficit public soit inférieur à 3,4 %.
Lever le pied sur le rythme des dépenses
Puisqu'il se refuse à solliciter le levier des prélèvements obligatoires, l'exécutif ne pourra faire l'impasse sur de nouveaux efforts en dépenses pour réussir à placer le déficit public au-dessous de son niveau stabilisant et parvenir à ce que la dette s'établisse à 108,1 % du PIB en 2027, comme escompté par la LPFP. Des efforts qui seront par nature plus rudes à mener que ceux liés à la simple extinction de mesures d'urgence. Par rapport à l'évolution tendancielle des dépenses avant la crise pandémique, soit 1,2 % par an en volume hors charges d'intérêts et mesures exceptionnelles entre 2015 et 2019, ce seront près de 50 milliards d'euros d'économies qui vont devoir être réalisées entre 2025 et 2027, selon la Cour des comptes. De fait, en comparaison, le gouvernement veut limiter la croissance de ce même périmètre de dépenses maîtrisables à 0,2 % par an entre 2025 et 2027, ce qui serait inédit dans l'histoire récente, fait remarquer l'institution présidée par Pierre Moscovici. Certes, à horizon 2027, les réformes de l'assurance-chômage et des retraites généreront des gains, mais ils s'avéreront insuffisants.
Où dénicher des dizaines de milliards d'euros ?
En 2022, les dépenses publiques de la France représentaient 58,3 % de son PIB, contre 49,6 % en moyenne pour les pays de l'Union européenne. Les deux tiers de ce différentiel (5,7 points) provenaient de la protection sociale, en grande partie à cause des retraites (2,5 points), selon une étude de Fipeco. « Un point de sous-indexation des retraites permettrait d'économiser 3 milliards d'euros par an », explique François Ecalle, président de Fipeco et ex-membre du Haut conseil des finances publiques. Face à l'inflation prévue en 2024, 2025 et 2026, le gouvernement pourrait économiser près de 20 milliards d'euros s'il choisissait de désindexer les retraites pendant trois ans. Les partisans d'une baisse du pouvoir d'achat des pensions soulignent que le niveau de vie des retraités est supérieur à celui de l'ensemble de la population et à celui des actifs (respectivement 7,8 % et 1,7 %, d'après le COR). Parmi les mesures possibles, on peut aussi citer la baisse de la dotation étatique aux collectivités locales. « Sous la présidence de François Hollande, elle avait été réduite d'une douzaine de milliards d'euros en trois ans », indique François Ecalle, qui prévient qu'elles pourraient répercuter partiellement cela en hausse de prélèvements obligatoires. Enfin, dans la fonction publique d'État, si le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux faisait son retour, « cela rapporterait environ 3 milliards en trois ans », calcule l'ancien magistrat à la Cour des comptes.
Faire preuve de doigté budgétaire
L'ampleur du coup de frein donné aux dépenses sera aussi fonction de la vigueur de l'activité économique, vigueur sur laquelle les arbitrages budgétaires du gouvernement exerceront une influence. Des travaux du Cepremap, conduits entre autres par Jean-Olivier Hairault et Selma Malmberg, avancent que le seul ajustement permettant de concilier désendettement et croissance – et limitation des inégalités – est de diminuer les transferts bismarckiens (pensions de retraite, allocations-chômage…) et d'augmenter moins que proportionnellement les transferts beveridgiens (minima sociaux et vieillesse, santé…). Ces chercheurs affirment qu'amputer les dépenses de consommation publique (éducation, défense, etc.) serait le plus pénalisant pour la croissance.