L a déliquescence industrielle que la France a subie au cours de ces dernières années lui coûte très cher. « Si je prends le produit intérieur brut (PIB) par habitant, on a un différentiel de 10 points par rapport à nos voisins allemands, 12 points par rapport à nos voisins néerlandais. L'explication de ça, c'est la désindustrialisation », soutenait Emmanuel Macron au printemps dernier.
Le poids de l'industrie manufacturière dans le PIB hexagonal a été divisé par deux en l'espace de quarante-cinq ans (10,9 % aujourd'hui). En outre, cette branche de l'économie a enregistré la disparition de plus de 2 millions et demi d'emplois entre le pic atteint par les effectifs lors du deuxième trimestre 1974 et le creux de l'été 2017 (-50 %). Enfin, la balance commerciale française est structurellement déficitaire de plusieurs dizaines de milliards d'euros (hors produits énergétiques) chaque année, aggravant la désindustrialisation et notre endettement extérieur. « Toutes les analyses récentes convergent vers un même constat : l'industrie française atteint aujourd'hui un seuil critique, au-delà duquel elle est menacée de déstructuration », lisait-on, il y a onze ans, dans le célèbre rapport de Louis Gallois, ancien PDG d'EADS, commandé par l'ex-Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault.
Amorce de rebond
À Bercy, au sein de la Direction générale du Trésor, les experts s'appuient sur une batterie de variables pour jauger la manière dont l'appareil productif industriel remonte la pente. Parmi eux, figurent le taux de croissance de la valeur ajoutée brute en volume de l'industrie manufacturière et la progression du stock d'emplois étiquetés « métier industriel ». Mais aussi, le nombre d'ouvertures et d'extensions de sites industriels, calculé par Trendeo : 300 créations nettes d'usines ont eu lieu entre 2017 et 2022 contre 600 destructions nettes entre 2008 et 2016, selon le cabinet fondé et dirigé par David Cousquer. « Les signaux envoyés par ce faisceau d'indicateurs nous amènent à juger qu'un processus de réindustrialisation est en cours », déclare à La Lettre de L'Expansion, Dorothée Rouzet, cheffe économiste du Trésor.
Les chiffres afférents aux performances à l'exportation pourraient toutefois inciter à la prudence. Les parts de marché des exportations françaises de biens se sont certes stabilisées pendant les années précédant la crise pandémique (après s'être quasi-continuellement dégradées) mais cette dernière les a fait décrocher. « La plupart des données montre un arrêt de la désindustrialisation et un début de revitalisation du tissu industriel, de sorte que l'effet sur les exportations manufacturières devrait se traduire par la suite », nous explique Thomas Grjebine, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).
La plupart des données montre un début de revitalisation du tissu industriel.
La politique économique aurait joué un rôle
Ces progrès sont également notés par une récente étude de Rexecode, qui pointe une hausse plus forte de l'investissement de l'industrie hexagonale par rapport à celle de la zone euro entre 2017 et 2021. Menée par Olivier Redoulès et Jade Faudemer, elle y voit l'influence, à l'image des économistes que nous avons interrogés, de la politique de l'offre conduite ces dernières années.
Allègements des impôts de production, création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), loi El Khomri, baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, loi Pacte, France 2030, transformation du CICE en diminution pérenne de cotisations sociales, instauration du prélèvement forfaitaire unique, loi sur l'industrie verte... autant de leviers actionnés, notamment, pour doper l'attractivité et la réindus-trialisation françaises.
Une politique aux intérêts bien compris, l'industrie ayant des atouts bien documentés : le niveau et la croissance de la productivité, ainsi que des salaires, y sont bien plus importants que dans les services, et le secteur est porteur d'effets d'entraînements sensibles, entre autres sur l'emploi local. Et c'est sans compter les enjeux liés à la souveraineté, devenus particulièrement prégnants depuis la crise pandémique.
Viser une pleine embellie
C'est pourquoi le gouvernement d'Élisabeth Borne en a fait l'une de ses priorités. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a fait savoir que l'objectif était que la part de l'industrie manufacturière dans le PIB remonte à 15 % en quinze ans (cela resterait un étiage inférieur à celui de l'Allemagne et de l'Italie). « Il s'agit d'un but difficile à atteindre ; un tel changement de modèle s'annonce coûteux socialement et économiquement, à court terme, en raison de la baisse du poids des services et de la construction qu'il implique », prévient Thomas Grjebine.
Eu égard aux limites intrinsèques de ce ratio (il n'a pas diminué seulement en raison de l'intensification de la concurrence internationale), il conviendra de surveiller d'autres métriques pour évaluer le regain de forme de l'industrie. « Si elle continue de voir croître ses emplois, sa production et ses parts de marché à l'export, en parallèle d'une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, ce sera une belle victoire pour la prochaine décennie », souligne Dorothée Rouzet. Le Trésor demeurera aussi très attentif aux dépendances et à la sécurité économiques.