«Le pic d'inflation devrait être atteint lors du premier semestre 2023. » Voilà le diagnostic posé depuis des mois tant par François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, que par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Dans les faits, alors que depuis l'automne 2021 l'Hexagone est aux prises avec un choc inflationniste dont l'ampleur s'est avérée inédite en quarante ans, l'augmentation annuelle de l'indice des prix à la consommation (IPC) s'est finalement établie à un niveau record lors du mois de février 2023, à 6,3 %. Pour ce qui concerne l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), au sein duquel le poids de l'énergie est plus important que l'IPC, le pic était en février, à 7,3 %.
Depuis lors, la vitesse de progression des prix à la consommation sur douze mois, mesurée à travers l'IPC, a reculé de 25 % en août. De sorte que nos pouvoirs publics semblent avoir vu juste. Pourtant, depuis le début de l'été, la composante de l'inflation qui a vu ses effets s'amplifier mais aussi se diffuser à l'occasion du déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine fait de nouveau des siennes. De fait, les prix de l'énergie ont augmenté au travers de plusieurs canaux.
Points d'attention énergétiques
D'une part, le cours du baril de Brent est passé de 72 à près de 95 dollars en trois mois, alors que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), emmenée par l'Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane et ses alliés (Opep +), a ajusté à la baisse la production quand, en face, la demande a atteint un niveau historique (103 millions de barils par jour cet été), portée par la réouverture de l'économie chinoise. En conséquence de quoi, à l'aval, le tarif du litre de gazole, carburant le plus consommé en France, a augmenté de 25 centimes depuis juin, soit une hausse de 15 %.
« Le petit rebond de l'inflation au mois d'août est surtout dû au retrait progressif du bouclier tarifaire », fait-on valoir du côté de Bercy…
D'autre part, le gouvernement, dans sa volonté de réduire la voilure en matière de dépenses publiques, entre autres en sortant des dispositifs exceptionnels anti-inflation tels que le bouclier tarifaire, a annoncé une hausse de 10 % des tarifs réglementés de vente d'électricité pour le mois d'août, après 15 % en fé-vrier (37 % de la facture d'électricité des ménages est encore prise en charge par la puissance publique). Tant et si bien que le glissement annuel de l'IPC, qui atteignait 4,3 % en juillet, s'affichait à 4,9 % le mois dernier. « Le petit rebond de l'inflation au mois d'août est surtout dû au retrait progressif du bouclier tarifaire », fait-on valoir à La Lettre de L'Expansion, du côté de Bercy. Certes, comparé au choc ayant affecté les prix de l'énergie au premier trimestre 2022, celui de cet été est bien moindre car, dans le cas des énergies fossiles, il ne concerne que l'or noir, mais il se produit alors que l'économie française continue d'évoluer dans un régime d'inflation élevée.
Une désinflation toujours d'actualité à court terme
Reste que, malgré cette nouvelle donne afférente au pétrole et à l'électricité, les experts continuent d'anticiper un ralentissement de la hausse des prix à la consommation pendant l'automne. D'après les équipes de Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee, l'inflation hexagonale devrait s'établir à 4,2 % sur un an en décembre. Les économistes de l'institut statistique ont bien pris en compte les hausses importantes des prix du pétrole et du tarif réglementé de l'électricité, survenues cet été, et elles n'altèrent guère pour autant leur analyse (l'inflation anticipée pour décembre a même été révisée en baisse de 0,2 point). Et pour cause, rappelons que les prix de l'énergie ne représentent que 8,6 % de l'IPC. Certes, il était prévu que ces derniers n'augmentent « que » de 2,9 % sur douze mois en décembre et ils sont désormais attendus en progression de 7,3 %. Toutefois, cette accélération n'est pas, en l'état, de nature à générer une hausse de l'inflation globale.
En effet, elle devrait être contrebalancée par l'évolution de la situation sur le front de trois autres composantes aux pondérations bien plus déterminantes. L'inflation alimentaire (16,2 % de l'IPC) devrait baisser de 4 points d'ici à la fin 2023 pour évoluer aux alentours de 7 % l'an, sous l'effet de la baisse des prix de production des produits agricoles et des industries agroalimentaires. Une trajectoire que le rebond du prix de l'or noir ne devrait pas remettre en question. « Les prix de l'alimentation ne sont pas uniquement fonction de ceux de l'énergie, bien d'autres intrants participent de leur formation », nous rappelle Julien Pouget, chef du département de la conjoncture de l'Insee. L'évaluation est semblable à propos des biens manufacturés (23,2 % de l'IPC), dont l'inflation devrait se voir grevée de 0,3 point d'ici à décembre (2,8% sur un an).
Un intrigant comportement des prix dans les services
Puis, vient la composante la plus importante des prix à la consommation : les services (50,1 % de l'IPC). Alors que la progression annuelle de leurs prix devait accélérer jusqu'à atteindre 4,2 % au début de l'hiver, l'Insee prévoit aujourd'hui qu'elle se situera plutôt à 3,2 %. « Les dernières informations en provenance du secteur des services indiquent que les prix à la consommation y progressent moins rapidement que nous l'escomptions », nous explique Julien Pouget. Un phénomène surprenant alors que les salaires nominaux, dont les prix des services sont particulièrement dépendants, ont crû de 4,6 % sur un an au deuxième trimestre. « Entre autres hypothèses, il se pourrait que la relation entre les coûts salariaux et les prix à la consommation soit moins forte qu'attendue ou qu'il y ait un allongement du délai de transmission de l'évolution des rémunérations à celle des prix des services », estime l'économiste.